Du 22 janvier au 20 avril 2025
au Théâtre Entrée libre
L'exposition
Des corps textiles
Des corps textiles est une proposition du plasticien français d’origine iranienne, allemande et polonaise Darius Dolatyari-Dolatdoust. Elle donne à voir une sélection d’œuvres (patchworks, quilts, feutres), de peintures, de costumes, de vidéos et de performances, reflétant le caractère protéiforme de sa démarche, traversée par une pluralité de mediums et de formats.
J’ouvre une porte. Des corps se projettent ici et là sur le textile : corps amoureux, corps animaux, corps absents, corps familiaux, corps créatures rabattus sur des surfaces, ils se fondent dans leur environnement, comme pour mieux habiter le décor. Entre des fragments archéologiques d’une culture fantasmée, sous l’obscurité du clair de lune et le rayonnement du soleil, les silhouettes découpées s’ébattent et se battent.
Darius est d’origine iranienne, par son père. Longtemps, il a souhaité s’y rendre, – pour y rencontrer sa famille, pour mieux saisir d’où il venait – mais ce voyage s’est avéré impossible : s’il veut mettre les pieds sur ses terres, l’état lui impose le service militaire. Dans sa quête des origines, il s’est retrouvé au département des antiquités persanes du Louvre, pour rencontrer les objets archéologiques : bronzes, céramiques, sculptures, uniques traces tant d’une culture inaccessible que d’un passé à jamais éteint. À la recherche d’indices, la Grèce s’est offerte comme une terre de substitution. Aujourd’hui encore, elle renvoie au passé immémorial d’un berceau des civilisations, à l’image de l’Empire Perse fondé il y a plus de 2500 ans.
Les scènes des œuvres de Darius Dolatyari-Dolatdoust se composent à partir de ces bribes de mémoires prélevées dans les vitrines de musées. Au même titre que les silhouettes humaines, ces objets sont les autres habitants des paysages domestiques qui se construisent devant nous.
Ici, les œuvres exposent des corps à nu, elles dévoilent une intimité masculine qui résiste à l’hégémonie d’une sexualité normative et patriarcale. Devant ces natures mortes de l’intime, il en va d’un aller-retour constant entre la pose et le mouvement : le corps est saisi sur le vif de l’action, d’innombrables postures sont collectées, arrêtés par l’image. Loin de constituer un décor bienséant, au sens étymologique, les corps qui s’exhibent ici sont ceux que l’on souhaiterait conventionnellement dérober au regard : ils batifolent, jouent, luttent, gambadent, s’empoignent et s’emboîtent. Pures surfaces colorées articulées les unes aux autres, elles s’exaltent dans la danse.
Dans un décrochement, les surfaces textiles s’enroulent autour des corps : elles deviennent autant de costumes pour transmuer la physicalité des interprètes. Comme descendues par elles-mêmes des cimaises, les silhouettes figées s’animent dans des performances, métabolisant ainsi le décor. Les costumes eux-mêmes deviennent à leur tour des lieux : espaces de transformation et d’hybridation qui modifient notre rapport au corps, à la danse et au langage. Outils premiers de la création chorégraphique dans le travail de l’artiste, c’est à partir d’eux que toute l’exploration se déplie. Inspirés autant des œuvres persanes que des apparences animales, les tenues modèlent ici des créatures aux visages camouflés par des masques et des maquillages bigarrés. Le langage humain les a quittées : ne s’exprimant plus que par onomatopées, souffles, cris, elles lancent des appels, tentent de s’accorder et de se lier vocalement les unes aux autres. Ces présences indéterminées communiquent pour mieux faire communauté, qu’elles soient réincarnation des fantômes du passé en portant les morts ou oiseaux chatoyants pris dans la parade amoureuse. Par leur joie, leur étrangeté, leur humour irrévérencieux, ces êtres hybrides imaginent cette impossible tentative d’exister autrement. Ils célèbrent la liberté des apparences par l’euphorie de leur propre fluidité. Au même titre que dans son travail plastique, Darius Dolatyari-Dolatdoust bouscule nos perceptions pour mieux saper les conventions sociales établies et réorganiser le réel en l’articulant au passé. L’artiste invente un paysage utopique et nous ouvre sa fenêtre, pour partager la vision d’un monde différent.
Grégoire Schaller – chorégraphe et chercheur en philosophie
L'artiste
Darius Dolatyari-Dolatdoust (France / Iran / Allemagne / Pologne) est un artiste plasticien, performeur, chorégraphe et designer. Son approche tourne autour de la fabrication de costumes qu’il considère comme un espace de transformation et d’hybridation, en ce sens qu’ils modifient notre rapport au corps, à la danse et au langage. Le vêtement devient alors un moyen de questionner son identité, que ce soit en rappelant ses origines iraniennes, en réalisant des costumes inspirés des oeuvres perses du Louvre ou en déconstruisant notre rapport de pouvoir envers d’autres espèces ou encore en imaginant des créatures hybrides à la frontière des humains et des animaux.
Il a présenté ses performances et oeuvres plastiques dans des galeries et institutions telles que la Fondation Fiminco (Paris), la Galerie Suzanne Tarasieve (Paris), Wiels – Centre d’Art Contemporain (Bruxelles), le Stedelijk Museum (Amsterdam), le Mudam Luxembourg – Musée d’Art Moderne (Luxembourg), le Momu – Musée de la Mode d’Anvers, la Villa Noailles (Hyères), le 19M (Paris).
Il sera résident à la Villa Kujoyama en 2025.